Obséques

Discours prononcé aux obsèques de l’abbé FISSIAUX par M. J. ROUGEMONT, le 6 décembre 1867.

Messieurs,

C’est comme président de la société départementale d’agriculture des Bouches-du-Rhône, que je vous demande la permission de vous retenir quelques instants devant ce cercueil.

Il y a certes beaucoup à dire sur le vie de l’homme considérable que nous pleurons aujourd’hui; mais, pour moi, c’est principalement au nom des choses agricoles que j »ai mission de parler du père Fissiaux. D’autres vous diront ce qu’il fut à tant de titres : je me bornerai pour mon compte à énoncer quelques dates comme des jalons dans cette grande et noble existence.

Charles-Marie-Joseph Fissiaux est né à Aix, le 20 juillet 1806.

Il reçut l’ordination en décembre 1831, et fut successivement vicaire dans deux paroisses de notre ville, où il se fit bientôt remarquer par son esprit d’initiative et de charité.

Dès 1835, nous le voyons fonder l’oeuvre de la Providence des filles pauvres (orphelines du choléra).

En mars 1839, il crée le Pénitencier de Saint-Pierre, dont il devient le directeur, et qu’il gère avec la communauté des Frères de Saint-Pierre-ès-Liens. C’est en cette qualité, et avec le concours de sa communauté qu’il fonde successivement, en mars 1853, le Pénitencier agricole de Beaureceuil (1); en 1854, la colonie agricole de la Cavalerie (2) (dans le département du Vaucluse), destinée aux jeunes enfants au dessous de dix ans; en 1859, il crée et organise avec ses propres ressources, le concours de la préfecture de la Meuse et de quelques notables de ce département, l’Orphelinat agricole Napoléon de Ligny, dont il reste directeur; en 1861, à la suite d’une entente avec Mgr de Fréjus, il fonde un autre orphelinat agricole dans l’ile de Lerins.

Le père Fissiaux entre, en outre, dans diverses compagnies littéraires, scientifiques, horticoles et agricoles. Il devient membre du conseil académique de l’institut historique; Vice-président de la société départementale d’agriculture des Bouches du Rhône.

Cette simple énumération, dans laquelle j’ai omis bien des titres, suffit pour prouver combien fut dignement remplie cette vie active et laborieuse. Aussi le gouvernement ne pouvait-il manquer de récompenser des mérites si éclatants, et , dès l’année 1845, la croix de la Légion d’honneur brillait sur la robe de ce général d’ordre, et sur ce coeur si chaud et si éminemment généreux.

Ah ! pourquoi faut-il que ce coeur si noble et sympathique ait cessé de battre… et que nous ne soyons plus aujourd’hui qu’en face de cette froide dépouille !

Hélas ! en présence de ce cercueil, c’est à vous mes collègues de l’Agriculture, que je dois rappeler ici combien la mort frappe à coups redoublés dans nos rangs. Naguère, nous perdions l’un de nos plus intrépides vétérans, l’honorable M. Plauche et, il y a quelques jours à peine, mon excellent prédécesseur, M. Falcon, ancien président de notre société, ami de celui que nous pleurons, succombait dans sa terre de Saint-Tropez.

Aujourd’hui, c’est un de nos Vice-Présidents, le père Fissiaux, qui nous est ravi par une mort inattendue, et au moment où il réservait l’honneur de célébrer dans quelques jours un service funèbre pour ses regrettés collègues. Cette consolation, messieurs, lui a été enlevée, et à nous, il reste que la douleur de l’accompagner à sa dernière demeure.

Oh  sans doute, Messieurs, lorsque nous voyons autour de nous disparaître de la scène du monde ceux que nous avons connus, leur mort ne laisse pas que de nous attrister prof-fondémént : car ce n’est pas sans un serrement de coeur que nous laissons sur la route de la vie de ceux qui la parcouraient avec nous ; mais lorsque, comme aujourd’hui, un coup terrible vient tout à coup nous séparer violemment de ceux avec qui nous étions fait une douce habitude de vivre dans la plus sincère réciprocité d’affection et de sympathie, dans la plus complète communauté de pensées et de vues, il nous semble alors que ce coup funeste nous arrache aussi quelque chose de nous mêmes, et nous restons accablés sous le poids de la plus poignante des douleurs.

Aussi, mes chers collègues, appelé à l’honneur d’exprimer vos sentiments et les miens devant les restes de notre ami, ai-je besoin de faire un effort sur moi-même pour ne pas donner libre cours à mes larmes !.

Ce n’est pas à moi, messieurs, d’insister pour vous dire ce que fut le Père Fissiaux comme général de son ordre; ce qu’il fut comme fondateur des établissements charitables placés sous sa direction, ce qu’il fut surtout comme membre de notre clergé et comme chanoine honoraire de Marseille et d’Alger..; ni ce qu’il aurait pu devenir dans la hiérarchie de se diocèse important, si sa modestie et son désir de se consacrer tout entier à ses oeuvres charitables ne lui avaient fait, par trois fois, refuser la haute dignité de l’Episcopat.

Après tout, qu’aurais-je à vous apprendre sur son incontestable valeur et sur ses éminentes qualités ? Appelé à l’une des fonctions les plus difficiles, celle de directeur de la Maison Centrale d’Education correctionnelle pour les jeunes détenus, il sut, pendant de longues années, trop courtes, hélas ! pour ceux qui l’ont connu, remplir son importante mission avec ce jugement sûr, ce zèle infatigable, cette vive intelligence, ce tact parfait, précieuses qualités qui rendaient son commerce si agréable et si facile, et faisaient de lui cet homme d’élite que nous avons su, tous, si bien apprécier, si bien aimer.

Mais le Père Fissiaux était une de ces natures fortes et généreuses qui n’acceptent pas à demi les obligations qu’elles ont à remplir. L’administration matérielle du Pénitencier qu’il dirigeait ne pouvait suffire à son énergique activité; il savait qu’il devait tendre sans cesse à un but plus élevé, celui de moraliser les jeunes gens remis entre ses mains. Il ne se contentait pas de les transformer par les moyens puissants de la religion ; son amour passionné des choses agricoles lui avait suggéré la louable pensée de seconder et d’assurer leur régénération, en les faisant vivre de la vie des champs.

Ainsi, vous le voyez, Messieurs, malgré les devoirs multipliés de ses diverses charges, ses aspirations le portaient toujours vers l’agriculture ; et il faisait de cette science et de ses applications, un puissant auxiliaire moralisateur dans les nombreux établissements qui lui étaient confiés.

La colonie de Beaureceuil notamment fut à tous les points de vue l’objet de tous ses soins ; il sut la porter à un haut degré de perfectionnement culturel, et cet établissement modèle fut à diverses reprises signalé dans nos solennités agricoles.

Nous avons vu bien souvent à l’oeuvre le Père Fissiaux dans notre société d’agriculture, où il tenait une si large place et où il exerçait une si légitime influence. Il était toujours prêt à payer de sa personne, et j’aime à me souvenir que je ne faisais jamais appel en vain à son expérience et à ses lumières.

S’agissait-il d’organiser une exposition départementale, il nous donnait son plus large concours et nous offrait, pour nous seconder, les éléments nombreux dont il disposait. Il se multipliait dans les commissions d’organisation.

Il allait partout visiter les fermes importantes, examinant avec le plus grand soin, les bêtes de choix et les meilleurs instruments agricoles. Aussi fut-il le premier interlocuteur dans le Midi, des batteuses à vapeur qu’il fit fonctionner dans les départements des Bouches-du-Rhône et du Var, à l’aide de son jeune personnel. C’est à lui aussi que revient l’honneur d’avoir importé dans notre département les meilleures racines d’animaux de l’espèce ovine et de l’espèce bovine.

Dès l’institution des concours généraux de notre zone, nous le trouvons comme exposant et lauréat, au primer concours agricole d’Avignon.

En 1864, au concours régional de Marseille, il se consacre, avec l’activité et le dévouement que vous lui connaissiez, à l’installation matérielle de cette remarquable exhibition, et nous le voyons cueillir dans cette grande solennité agricole une ample moisson de médailles et de couronnes.

Aussi, le Ministre de l’Agriculture le désigne t-il comme membre du jury dans plusieurs concours de la région.

Qu’il soit juge ou jugé, sa notoriété agricole s’accentue chaque jour davantage.

J’avais, Messieurs, cette année encore (en mai 1867), l’honneur de faire partie avec lui du jury du Concours Régional de Carcassonne. L’abbé Fissiaux (nous l’appelions toujours ainsi) sentait déjà les atteintes de la maladie qui devait l’emporter ; il n’hésita pas cependant à accepter le mandat que S.E le Ministre de l’Agriculture avait bien voulu lui confier ; mais dans la nuit même qui suivit son arrivée, il fut atteint par une sorte d’étouffement qui manqua nous l’enlever, et qui le tint plusieurs jours alité. Je me souviens que dans une des visites que nous le faisions, il me dit :

Mon cher président, je mourrai ainsi, et vous apprendrez un jour ma mort au moment où vous y penserez le moins.

Fin.