Récits

Les Médecins

medecins
Dr S. 60é RI

Le 24 février, les blessés commencent à affluer au poste de secours, an arrière de la côte 344. Quel moral chez ces combattants ! Un sergent, pendant qu’on lui coupait la cuisse, broyée par un éclat, chantait la Marseillaise..

Albert H. 251é RI

On amène au poste de secours un blessé qui venait des premières lignes ; ils avaient été descendus quatre blessés ensemble, mais les trois autres avaient été achevés en route par un obus. Ce blessé avait une jambe coupée et l’autre bien abimée. Il dit à l’infirmier qui le soignait : « Tu vas écrire à ma femme que j’ai été blessé aujourd’hui. Je sens que je vais mourir, c’est pour la préparer ; si elle recevait la nouvelle d’un seul coup, elle pourrait tomber malade. Dans deux jours, tu lui écriras que je suis mort. Et dis-lui surtout qu’elle ait bien soin de notre chère petite puisqu’elle n’aura plus de père ». Et il continua de causer ainsi bien tranquillement, tant qu’il ne fut pas mort.

Emile D. 355é RI

Notre poste de secours est aux Quatre-Cheminées. De nombreux blessés nous sont signalés sur l’autre versant de la cote 321.

Mes deux camarades brancardiers et moi, passont toute cette nuit mémorable du 24 au 25 mai, sans une minute de répit, à extraire, pourrait-on dire nos chères blessés.

Tantôt, nous soulevons le brancard chargé de son précieux fardeau, à bout de bras au-dessus de l’obstacle. Tantôt, c’est en rampant ou entre deux troncs d’arbres, nous accrochant, buttant ici et là. Tantôt, c’est dans le fouillis des branchages, poussant des exclamations comme celle-ci :  » levez plus haut, encore plus haut, encore ; encore : ca va y être, pas si vite; attendez que je passe en avant; doucement, ne penchez pas tant, il va tomber, il tombe. Mais, nous sommes donc accrochés ? Venez un, de ce côté, passons en dessous, puis entre ces branches, plus à droite, puis en dessous. Ca va y être, plus à gauche, mais non, car ira mieux par ici, etc., etc.  » Cela au milieu des éclatements d’obus, des sifflements des balles …

Dans toute cette nuit entière d’angoisse et d’extrêmes fatigues, nous n’avons pu transporter que trois blessés en tout

Francois L. 272é RI

Juillet fut très chaud. Dans notre cagna de la mémorable cote 304, nous mourions de soif. Au fond du ravin coulait une fontaine. Ce n’était pas très loin ,mais très dangeureux; car à chaque minute, l’obus boche venait aussi s’y désaltérer. Tout autour de cette fontaine fatale, on apercevait, sinistres avertisseurs, des poilus étendus, morts victimes de leurs imprudence et de leur soif.

Un des brancardiers du groupe nous dit :  » Je n’y tiens plus, j’y vais, j’ai trop soif.  » Nous avons essayer de l’arrêter en lui disant qu’il allait sûrement se faire tuer.  » Je le verrai bien « , nous répondit-il. Et il partit. Et quelques minutes après, il y avait un cadavre de plus autour de la fontaine.


 

La Relève

releve
Louis B. 110é RI

Chargés comme des mulets, avec nos pièces en plus de nos équipements, nous suons, geignons, soufflons pour avancer dans la terre glaise… A un certain moment, nous sommes croisés par deux fuyards dont l’un, ivre de sang et de terreur, nous crie « N’allez pas là-bas ! n’allez pas là-bas !  » Soudain, un obus vient éclaircir nos rangs, des éclats rouges nous frôlent avec une vitesse prodigieuse, des blessés crient. Mais aussitôt, s’élève la voix calme de notre capitaine : « Serrez les rangs ! ».

G. B. 405é RI

La relève. Il était temps. Dans ce régiment d’élite, où, il y a quinze jours, on trouvait dix volontaires pour un, le cran commencait à manquer.
En sortant des casernes Bevaux, nous croisons un régiment qui monte en ligne. Ses hommes nous regardent avec des yeux effarés, ils nous demandent :
– Quelle compagnie êtes-vous du 405 ?
– Nous sommes le régiment !

Frédéric B. 126é RI

A la nuit tombante, des ordres circulèrent : « En tirailleurs, à deux pas, l’arme à la main, baïonnette au canon, et en avant ! » En nous courbant, nous entreprîmes de monter sur la crête. On nous avait dit que nous devions relever un régiment, le 356é je crois ; je ne sais si ce renseignement était faux, toujours fut-il que les agents de liaison qui marchaient à une vingtaine de mêtres en avant de notre vague se trouvèrent sur la crête nez à nez avec les Boches. Notre capitaine, qui marchait debout, fut le premier à voir les Boches et il cria à ses agents de liaison :
– N’y allez pas, n’y allez pas !…
Il n’en dit pas plus car, à ce moment, il reçut une balle en pleine poitrine, on n’alla chercher et, cinq minutes après, il était mort.

Sergent Mitrailleur C. 297é RI

En montant en ligne,nous fûmes réconfortés en voyant de braves poilus d’une batterie d’artillerie à tir rapide, en manches de chemise et tout en sueur, armant, tirant, déchargant leurs pièces avec toute la célérité possible pour répondre à l’appel d’un tir de barrage demandé par la première ligne. Ils nous adressérent des paroles fraternelles, et nous leur étions reconnaissants de leur soutien et leur entrain.
Peu après, nous entrâmes dans les boyaux encombrés de territoriaux chargés de matériel. Ces braves pépères étaient, de même que les artilleurs réconfortant à voir, et c’est avec émotion que je me souviens à seize ans de distance, de leur besogne pénible, obscure et meurtrière.

Jean T.

A la relève, nous comprîmes pourquoi nous n’avions pas été ravitaillés ; les abris étaient effondrés avec, dessous, des cadavres dont les membres dépassaient ; les cuisines roulantes, les conducteurs, les chevaux, les voitures, les autos gisaient pêle-mêle sur cette unique route ; tout y était déchiqueté, éventré.


 

Les Coureurs

coureurs

Capitaine Paul F. 332 é R.I.

Nous avions comme guide un petit gars déluré, mais dont le mutisme persistant n’était point fait pour me rassurer.
A un certain moment, je m’avisai qu’il paraissait indécis sur sa route. Sans ralentir le pas, je lui soufflai tout doucement à l’oreille :  » Es-tu bien sûr de ton chemin ? « .
Il ne répondit pas.
Ces coureurs, ces guides de Verdun étaient admirables de flair et de conscience. Je savais bien qu’il finirait par s y retrouver ; l’essentiel était de ne pas arriver chez les Boches !
Le guide continuait donc à avancer, mais un peu plus prudemment.
Il se courbait, de temps en temps, comme s’il cherchait à distinguer quelque chose à l’horizon. Il profitait, pour cela, des lueurs soudaines des fusées éclairantes, mais on n apercevait toujours que l’immense ligne du bled lugubre et sans fin.
– Je cherche un arbre en forme d’fourchette; si vous l’voyez, c ‘est not’direction !…
Je sondais vainement ce paysage effarant, lorsque mon guide poussa un cri étouffé :
– Le v là ! le v là, là-bas ! le voyez-vous ?…
– Où ça ?
– Là-bas sur la crête…
Il venait de découvrir, enfin, son repère : une pauvre broussaille, en effet, qui émergeait des entonnoirs, au ras d’une crête déserte.

Léon F. 44 é R.I.T.

La porte du P.C. s’ouvre violemment, un poilu couvert de sang nous tombe dans les bras. Nous le faisons asseoir. Le commandant lui donne à avaler une goutte de rhum. Il revient à lui et prend dans sa cartouchière un bout de papier sur lequel le commandant du G.G.I. a griffonné en hâte quelques renseignements. Les petits postes ont été attaqués; plusieurs sont anéantis; la grand’garde se replie sur les ouvrages en R; Il demande un ordre.
Le coureur paraît incapable de porter cet ordre. J’appelle un de nos agents de liaison.
 » – Non ! répond l’homme – un gars du Nord – c’est mi qui faut que je m’en revô !  » . Il prend le papier et s’enfuit. Est-il arrivé ? Encore un héros dont on ne connaîtra jamais le nom, un gamin de vingt ans dont la joue droite avait été enlevé par un éclat d’obus et qui n’a pas admis qu’un autre que lui pût accomplir une mission de confiance dont l’avait investi son chef.

HD, agent de Liaison 264 é R.A.C

Ordre de partir à 5 heures ½ pour porter un pli à la 44 é batterie. J’avais comme compagnon le téléphoniste Pétouin. Pendant tout le trajet de 4 kilomètres, il tombe des marmites à chaque minute. Un obus de 105 s’abat à cinq ou six mètres de nous. Il a fallu courir et faire du plat ventre. De retour à 8 heures 1/2. Une demi-heure après, nouvel ordre à transmettre. Je n’ai pas eu le temps de manger ; un quart de vin et c’est tout. Je suis reparti avec mon camarade Hourlier, de la 46 é batterie, qui devait porter des plis à sa batterie. A 9 heures, nous quittons le Fort de Tavannes. A minuit, nous étions en pleins champs, ensuite au village de Fleury, puis au fort de Souville, à la recherche de nos batteries respectives. Nous étions perdus. En cours de chemin, en pleine nuit, des brancardiers transportaient des morts et des blessés, il y en avait une trentaine. Les obus tombaient à droite, à gauche, de tous côtés. A minuit, l’ordre destiné à la 44 é batterie était transmis au lieutenant Salmon. Nous sommes repartis ensuite à la recherche de la 46 é batterie. Pendant trois heures, en pleins champs, sans savoir où nous étions, en plein marmitage, nous cherchions à découvrir la batterie de mon camarade.
Je suis arrivé à 4h. 45 du matin, déchiré de partout, couvert d’égratignures sur tout le corps, jambes brisées, rompu. C est dans ces conditions lamentables que j’ai passé la nuit.
A dix heures, je reçois l’ordre de repartir pour remettre des plis. Accompagné d’un homme d’une batterie de 80 de montagne, je suis passé dans des boyaux remplis de gaz asphyxiants. Mes yeux pleuraient, j’avais l’estomac creux, les lèvres sèches, une soif délirante. De retour à 1 h 1/2, fatigué et malade par suite des gaz, je n’ai pas pu manger, je n’ai pu que boire et boire encore de l’eau. J’ai maigri de 7 Kilos.

Jean J. 119 é R.I.

Ce que doit être un agent de liaison :

1°) Un agent de liaison doit être l’ame de l’unité qu’il représente, bon camarade avec tous : Officiers, Sous-officiers et Soldats.

Il doit avoir la confiance de ses chefs et de ses camarades. Il doit être vigilant, savoir tout, avoir bonne mémoire, être de sang froid, avoir de la gaieté et en plus de ces qualités, le sens de l’orientation, connaître les unités à la droite et à la gauche des sections en ligne, connaître approximativement de la distance occupée par l’ennemi, le nombre des postes avancés, dits postes d’écoute, connaître l’emplacement des abris, en cas de gros bombardements, les P.C. des commandants de bataillon et du colonel, retenir les consignes et les passer exactement à ses remplacements.

2°) Un agent de liaison ne doit pas trop compter sur la reconnaissance pour une action d’éclat.

Un jour, un officier à qui j’avais sauvé la vie sortit son portefeuille et me remit 15 francs. Mais il se rendit compte aussitôt de sa folle prodigalité et, bien vite, il ajouta :

– Vous partagerez ça avec les autres agents de liaison.

C. 408 é R.I.

Le sergent C., du 408é R.I. est chargé, le 8 mars au soir d’établir la liaison entre le village et le fort de vaux. En arrivant prés des tranchées, en face du fort, il est accueilli par un Werda qui lui prouve que les allemands ont pris pied dans ces tranchées, coupant le bataillon en deux. Il se cache, attend que la fusillade des allemands ait pris fin, puis repart. Il arrive à la tranchée de la 1ére compagnie, qu’il trouve encombrée de morts et de blessés à la suite des combats de la journée. Le commandant de la 1ére compagnie le charge d’aller demander au commandant des cartouches et des brancardiers pour enlever les blessés. Un jeune lieutenant veut le retenir en lui montrant la ligne continu d’éclatements en arrière du front, mais C. a des ordres à porter, il part. Comme il va sauter dans le boyau qui le mène au poste du chef de bataillon, un fusant éclate près de lui et le souffle de l’obus le couche à terre. Sa fatigue et son désespoir sont si forts qu’il se laisse aller, incapable d’un effort. Mais bientôt il réagit. Il se relève en s’aidant de son fusil, et courbé en deux, à pas menus, il marche jusqu à ce qu’il rencontre des guetteurs qui le conduisent au chef du bataillon. Il fait son rapport et tombe sans connaissance. Il ne revient à lui qu’au poste de secours.


 

A la Soupe

soupe

Jean C. 95é RI

Les vivres nous parviennent difficilement. J’ai vu dépecer un cheval blessé par un éclat d’obus. Les quartiers étaient suspendus à un arbre et les hommes présents allaient se couper des morceaux de viande avec leurs couteaux. Ils les faisaient cuire au petit bonheur, c’est à dire, sur des lampes à alcool ou des boites d’alcool solidifié; cette viande était mangé à demi-crue.

Abbé F. 96é RI

Au ravin du Gravier qui termine le ravin des Vignes, c’est le ravitaillement du 96é. Soudain, un bombardement affreux s’abat sur le ravin, tuant, blessant des hommes, mettant les hommes valides en fuite. Le brancardier P.,. demeure seul impassible. Roulier de son métier à Béziers, il sait quel égards on doit au bon vin de France. Or le tonneau de vin est blessé et perd son sang par une large blessure. P… commence par appliquer sa bouche au trou et à boire tout son content. Ce fut assez long. Il ramassa ensuite les bidons qui traînaient et put en remplir 25 qu’il rapporta à son escouade. « La France est perdue, dit-il d’un air sombre à ses camarades ; les Poilus ont abandonné le pinard ! »

N.

Il semble que le haut commandement n’ait pas eu le loisir de s’occuper du ravitaillement en vivres avec autant de soin que du ravitaillement en munitions. Peut-être eût-on pu prendre le temps de goûter aux haricots de l’ordinaire ? On se serait alors demandé pourquoi si souvent les haricots sentaient le chien mouillé. Peut-être eût-on pu éviter les conserves épicées et les harengs salés alors que les hommes mouraient de soif.

Michel C. 92é RI

Le cuisinier de notre poste était un Alsacien déserteur allemend à qui, pour cette cause, on avait donné un nom d’emprunt. Il vint m’apporter du vin au bois des Corbeaux que le régiment venait de prendre. A ce moment, une contre-attaque allemande se déclenche. Le cuisinier disparaît. Je le croyais retourné à sa cuisine mais, l’attaque repoussée, le voilà qui reparaît, un fusil brûlant à la main. « Je n’ai pas voulu m’en aller sans prendre part à la fête » me crie-t-il, tout radieux.

Louis F. 120 é B.C.P

Le caporal-muletier Girodon, en conduisant nos voiturettes de ravitaillement, a été grièvement blessé par des éclats d’obus au bras et au ventre. Le lieutenant Laure nous a dit qu’il allait le faire citer. Il a ajouté que les muletiers avaient une tâche obscure et cependant très méritoire. Traverser des tirs de barrage chaque jour, au pas tranquille des mulets, c’est un acte de bravoure autant que beaucoup d’autres. Et tous, nous avons acquiesé de grand coeur à cet hommage.


Les Tranchées

tranchees

 

Caporal Maurice B. 56é BCP

Avec mes cinq poilus, je m’échoue dans une tranchée profonde de 50 centimètres, large de 40, longue de 3 mètres environ, garantie sur le devant par un parapet haut et large de 40 centimètres. La nature du terrain fait que tout trou creusé se remplit immédiatement d’eau ; aussi, sommes-nous plutôt dans une baignoire improvisée que dans une tranchée.
Durant 28 heures, nous logeons dans cette baignoire, vidant l’eau toutes les demi-heures environ pour l’empêcher de nous monter plus haut que le ventre. De toutes les parois, l’eau suinte sans interruption.
Une mitrailleuse qui a bloqué le tir pour raser le parapet nous interdit tout mouvement dans le sens de la hauteur. Collés les uns aux autres, ankylosés d’humidité et d’immobilité, nous mangeons recroquevillés.
Quand nous repartons, nous devons nous aider les uns et les autres à plusieurs reprises, car nous ne pouvons plus arriver à arracher nos jambes à la boue.

Marcel B. Sergent Mitrailleur du 20é BCP

Les zouaves que nous relevons en avant de FLEURY sont couchés ou accroupis dans des trous d’obus. Nous les touchons aux épaules, nous leurs parlons :  » Hé, les gars, nous voici ! « .
Ils restent immobiles et silencieux, ils sont tous tués, même déjà froids et saupoudrés de neige, ils doivent être morts depuis des heures ; les survivants s’il en reste, ont disparu ; les guides de liaison également.
Nous mettons nos pièces de batteries sur une lèvre d’entonnoir. Le bombardement furieux nous couvre de débris de toutes sortes.
Nous avons protégé nos pièces avec nos couvertures et nos toiles de tente ; nous sommes réellement transportés de fureur contre les  » verts-de-gris  » qui nous écrasent, nous avons soif d’en tuer, nous voulons vendre notre peau le plus chèrement possible, nous voulons la faire payer hors de prix, nous en avons les moyens, à une seule condition, c’est que nos pièces ne s’enrayent pas ; c’est là notre seule crainte.
Nous ne sommes qu’une dizaine dans ce trou, mais chacune de nos pièces vaut un régiment.
Nous n’avons plus ni faim, ni soif ; nous ne sentons plus la fatigue dont nous sommes accablés ; dans des circonstances aussi exceptionnelles, le besoin de nourriture passe au second plan, la lassitude physique fait place à la fièvre.

Elie T. Sergent du 410é RI

Le terrain est couvert de cadavres. Dans un trou d’obus, à coté de nous, il y en a 5 ; l’un d ‘eux, un noir, est tombé à quatre pattes ; il tient encore son fusil ; il a reçu un éclat d’obus à la tête et un morceau de son crâne pend lamentablement.
Le 3 Juin, bombardement par 210 sur notre secteur en haut de la côte 321. J’ai vu, ce jour-là un soldat du nom de Jean MONNIER, se tenir presque debout dans la tranchée pendant le bombardement, sans faire un mouvement pour s’abriter ; c’était un paysan, un brave comme j’en ai vu peu.
Une nuit, je suis de corvée avec mes hommes pour aller porter des fils de fer aux compagnies de première ligne. Le bombardement est violent et, hélas ! nos 155 tirent sur nous à tour de bras. J’arrive, avec beaucoup de peine, aux premières lignes ; un copain me reconnaît et me dit qu’il vient d’avoir 7 hommes tués par un de nos 155. Je vais à la compagnie à coté ; je rencontre le commandant de compagnie ; je lui dis que je viens lui apporter des grenades et du fil de fer ; je lui demande où les déposer. Il me répond :  » Où vous voudrez. Depuis deux heures que notre artillerie nous bombarde, si ça continue, je vais aller avec ma compagnie et avec des grenades bombarder les artilleurs !  » . Les boches en faisaient d’ailleurs autant, car j’ai vu, dans ce secteur, leurs obus de 210 tomber en plein sur leurs lignes et même en arrière.

Léon F. 44é RIT

Un énorme percutant tombe sur l’abri et le secoue terriblement. Je perçois deux cris : Mon dieu ! Qui les a poussés ? Puis c’est le grand silence. Je ne suis pas mort, je ne suis pas aveugle, je remue les bras, mais les jambes ? La droite surtout me fait mal. Je suis enseveli jusqu’à mi-corps, impossible de bouger et, par conséquent, de me dégager.

– Mon commandant ! où êtes-vous ?

Pas de réponse. Je fais l’appel, personne ne dit mot.

J’essaye de me tourner pour voir ; je suis tombé sur le commandant. Je l’appelle encore. De la paille qui vient de s’enflammer me le fait voir. Il est tout noir ! Peut-être n’est il qu’évanoui ? Je lui tire la moustache, je lui lève une paupière… Il est mort ! Une botte de longues fusées éclairantes est tombée sur nous ; l’une des fusées s’enflamme, part et vient frapper le commandant en pleine figure, il ne bouge pas ! Une deuxième et troisième… J’arrive à casser une tige de fusée et je puis ainsi empêcher que le paquet entier ne flambe. Mais tout est en feu autour de moi. Les cartouches des morts éclatent ; les flammes me lèchent la figure.

Mourir ainsi, brûlé tout vif, est trop affreux… Mieux vaut en finir tout de suite. J’envisage froidement ce qu’il me reste à faire pour abréger une fin aussi tragique. Je déboucle l’étui du commandant, je sors son revolver… Ah ! non pas çà ! Et les deux petits là-bas et la maman ?… Je replace l’arme et je crie, j’appelle comme l’homme à la mer. J’entends des murmures de voix, au dehors, on entre.
– Qui appelle ?
– Moi ! et j’agite les bras.

Bouton et Thomas me dégagent et, me traînant par les bras, me placent assis contre l’angle formé par deux boyaux . A peine suis-je sorti que tout le PC est en flammes, les caisses de cartouches et de grenades explosent, il est impossible à ces deux braves de rentrer dans le poste.

A partir de cet instant, j’ai des trous dans la mémoire.

Frank R. Caporal 95é RI

Enfin, le bombardement avait semblé se calmer. Comme le soleil donnait un peu aujourd’hui (17 mars), Touzard, s’était glissé furtivement hors de la tranchée, et, aplati contre le sol derrière le remblai, il prenait tranquillement un bain de lézard tout en écrivant à sa femme. Nous l’avions bien prévenu qu’il risquait de recevoir un éclat, car les obus arrosaient le terrain, mais il n’avait rien voulu entendre. Une explosion plus rapprochée nous le fit appeler :  » Touzard ! Touzard !  » Aucune réponse. Marquenet et Naud, deux brancardiers de la compagnie se hissèrent au dehors de la tranchée et, en rampant, arrivèrent à l’endroit occupé quelques instants auparavant par Touzard. Ils virent un trou d’obus, mais ni là, ni alentour rien ne rappelât notre camarade, sauf la feuille de papier sur laquelle il écrivait, et qui, après s’être envolée au souffle de l’obus, était revenue se poser au milieu de l’entonnoir.


Les Copains

copains

Georges C. Agent de liaison au 164é RI

En passant près d’un abri, je m’aperçus qu’il avait été écrasé alors qu’il était rempli de camarades. Etaient-ils tous morts ? Je l’ignore, mais ce que j’ai vu, c’est deux Boches arrosaient leurs corps de goudron enflammé, l’un portant le réservoir sur son dos, et l’autre, le tuyau. Et je n’avait plus d’armes !

Laurent T. 74é RI

Le 22 mai, j’ai vu les Allemands lancer plusieurs jets de liquide enflammé sur les blessés devant nous. Je n’oublierai jamais cette odeur de chair qui brûle ni les cris de ces mourants. J’eus cependant la satisfation, après l’avoir soigneusement visé, d’abattre un de ces bandits.

Pascal T. 269é RI

Une nuit, je marchais en queue de ravitaillement et je vis deux soldats, deux chasseurs à pied qui avaient été déposés, gravement blessés, sur l’acotement de la route. En passant, je leur avais adresseé un mot de réconfort, puis j’avais couru pour rattraper le convoi. A ce moment là, une fourragère attelée de quatre chevaux emballés, sans conducteur,surgit devant moi. je n’eus que le temps de me jeter sur le coté pour ne pas être écrasé. Je me retournai aussitôt et je vis qu’ils se dirigeaient sur l’accotement où se trouvaient les deux blessés. Mon coeur s’arrêta de battre et je n’eus pas la force de continuer à regarder pour savoir ce qu’il était advenu de ces deux malheureux. D’ailleurs, je n’avais pas besoin de le voir pour le savoir.

Franck R. 266é RI

De la route d’Etain et d’ailleurs, descendent de pleins tombereaux de cadavres: ce sont les tombereaux de répurgation de la ville de Verdun qui servent à ce travail. Par-dessus les côtés, parfois, une jambe raide apparaît, ou un bras, ou une tête ; il y a également des corps sans tête. Les territoriaux n’arrêtent pas de creuser des tombes.


 

Au Front

front

Pierre J. 66é RI

Nous sommes partis d’Esnes à la nuit tombante, le 19 Avril, pour monter en ligne.
Combien de morts sur notre trajet ? Des centaines sûrement. En sortant d’Esnes, une section entière était là, comme endormie pour toujours, tous les hommes plus ou moins déchiquetés. Notre file indienne, avec tous ses arrêts forcés par les éclatements ne put arriver qu’à deux heures du matin au secteur pour remplacer les deux ou trois poilus survivants.
A la question : « Où sont les Boches ?  » , ils nous répondent : « A quarante mètres ; vous ne serez pas longtemps à les voir. »

Jacques A. 62é RI

Il est minuit, nous arrivons dans un ravin profond que j’appelerai le ravin des éclairs, tant les éclatements y furent pressés, nombreux, ininterrompus pendant l’instant démesuré que nous y avons passé.
Le tumulte de ce ravin est aussi prodigieux que son illumination.
A cotè de moi, immobile, tournant le dos aux éclatements, un officier devise avec son ombre : « Celui qui n’a pas fait Verdun, dit-il, n’a pas fait la guerre. »
Les 150 surgissent comme des grands spectres frappant les troncs à pleine cognée, hachant les branches qui pendent en lambeaux. Un chêne déraciné passe à quelques mètres au-dessus des casques. Il tourne lentement sur lui-même et je vois distinctement ses racines blafardes d’où la terre tombe en pluie.
Une troupe de 105 arrive en tornade et fracasse le bois dans tous les sens. Nous sommes dans le bois de Nawé.
Nos hommes s’engagent à la file indienne, un bâton de pèlerin à la main, suant, soufflant, gromellant. Ils vont, à chaque instant prosternés sous ces clartés de l’au-delà, trébuchant sur les souches calcinées, tombant dans les crevasses de fange. Ils se relèvent, continuent à marcher péniblement, ployés en deux et comme écrasés sous une croix trop lourde.

Emile B. 17é BCP

Le 15 mars, nous montons au bois de la Caillette. Détail poignant, je ne serais pas capable de dire quelle unité nous avons relevée, car je n’ai vu d’hommes vivants que ceux de ma compagnie. C’est à Verdun qu’on relève les morts.

André D. 42é BCP

Nous allons à la file indienne, tête baissée. Soudain, devant nous éclate un furieux tir de barrage ; à gauche, à droite et derrière nous, les obus de l’artillerie ennemie tombent avec fracas.
Nous sommes enveloppés d’un immense cercle de feu, et rien pour nous en préserver, car nous nous trouvons sur le plateau de Fleury. Dans la nuit, enserrés dans ce cercle de flammes, parmi les vrombissements des éclats meurtriers qui déchirent l’air de leurs griffes acérées, la peur nous broie les entrailles, le souffle nous manque, le coeur nous bat à grands coups précipités.

Jean M. 2174é RI

Nous montons en ligne quelque part entre Douaumont et Vaux, le 26 Avril. Ma première impression, en arrivant, fut que les occupants nous cédaient la place avec empressement et enthousiasme. Voici le dialogue qui s’est engagé avec le poilu que je relevais :
– Est-il mauvais le coin ?
– Eh bien, mon vieux, oui, ça chie.
– Où sont les Boches ?
– Mon vieux, ils sont devant, et puis démerde-toi.